20/01/2008

Musicalité - Luís Miguel Oliveira











Polifonias - Paci è Saluta, Michel Giacometti
est construit -de manière à rendre justice à son titre- sur un ton "polyphonique". En son centre, comme l'indique également le titre, se trouvent la figure et l'oeuvre de Michel Giacometti, sans pour autant que Polifonias (bien loin de là) ne se réduise à sa simple évocation. Celle-ci est présente évidemment, guidée par la volonté de préserver et d'affirmer l'importance du travail de Giacometti pour la culture populaire portugaise. Comme il est dit dans le témoignage de José Mario Branco, c'est grâce à ce travail qu'un passé a pu générer un futur, et que tout un héritage culturel apparemment condamné à se dessécher a pu finalement fructifié. Pierre-Marie Goulet développe aussi en partie dans son film un travail orienté par l'idée de recueillir : il s'agit de partir en quête des indices du passage de Giacometti au Portugal, en particulier en Alentejo, et vérifier tout ce qui reste de marque indélébile de ce passage. L'identification profonde qui s'établit entre lui et la population de l'Alentejo ne sera pas, en ce sens une des marques les moins importantes.

Mais en Polifonias se détache aussi l'idée d'un "mystère" subjacent à la figure de Giacometti et à cette identification avec un peuple et une terre. D'une certaine manière, c'est en relation à ce mystère que le film de Pierre-Marie Goulet avance, cherchant à comprendre pour quel motif un Corse fut capable de sentir un tel enchantement et de mener à bien une telle intégration dans un paysage humain, culturel et géographique - celui de l'Alentejo. Ici, Polifonias fait revenir à la mémoire Citizen Langlois de Cozarensky qui "reliait" l'oeuvre du fondateur de la Cinémathèque Française à une incessante tentative de retrouver et de rencontrer ses racines. Et quand Pierre-Marie Goulet confronte le "chant" alentejano avec les polyphonies corses, rendant immédiatement perceptibles, pour tous (des participants au film jusqu'aux spectateurs) les relations souterraines et les équivalences entre l'un et l'autre, cette idée devient parfaitement claire : en sauvant les racines des autres, Giacometti était en train, plus que de se les approprier, de reconnaître en elles ses propres racines.

C'est dans ce processus que Polifonias intègre dans sa structure l'idée de "polyphonie". Parce qu'il se transforme en un film qui est tout autant sur Giacometti que sur la notion de "racines", sur le peuple, sur la terre et sur la musique; et parce que tous ces éléments continuent à avoir une résonance propre même quand ils se fondent les uns aux autres. Et encore parce qu'à tout cela correspond une organisation formelle marquée par une musicalité intrinsèque, aussi bien à l'intérieur d'une séquence (voir par exemple le plan de rue qui se répète comme un leitmotiv visuel) que bien des fois à l'intérieur du plan lui-même (l'image, qui elle aussi se répète, de la femme qui regarde le paysage et que nous accompagnons dans un travelling au rythme du monologue de la bande sonore). Pour tout cela, Polifonias est un très beau film.

Luis Miguel Oliveira
Critique de cinéma du journal "Publico"
Texte de présentation pour la projection d'inauguration du cycle
"Le nouveau documentaire au Portugal." le 26 mars 1999
organisé par la Cinémathèque Portugaise - Musée du Cinéma

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