24/11/2007

Polyphonies du Sud: les larmes d'une terre aride - Karin Tshidimba

Entre âme corse et portugaise, il y a le filet d'un chant qui chante l'histoire des peuples marqués par la terre.



La polyphonie remonte aux sources d'un peuple opprimé par sa terre et par celui qui s'en était déclaré le maître. Qu'elle soit de Corse ou du Portugal n'a finalement que peu de poids. Seule compte la voix qui, souvent, s'élevait du sillon où le laboureur peinait sous un soleil de plomb. Il se rattachait alors à ce filet profond, de peur que sa volonté ne défaille et ne le laisse sans force ou sans voix.(...)

De tout ceci, il ne resterait plus aucune trace si, par une journée banale, un homme à longue barbe n'était entré dans le village, équipé seulement d'un carnet et d'un magnétophone. Son nom était Giacometti. Michel Giacometti. D'origine corse, cet amoureux des voix a conquis ce peuple fier et taiseux au point de devenir le meilleur allié de sa tradition. Qu'on ne se méprenne pas ; il n'y eut pas vol mais don, réciproque et librement consenti. Ce transfert d'amour est au coeur de Polifonias, Paci è Saluta, l'improbable et pourtant irréfutable histoire d'un glaneur de sons, nomade insatiable qui parcourut un pays à la recherche de ses voix. (...)

Plus encore que par les paysages d'une beauté insolente et par la paix de cette caméra qui les traverse au pas, c'est par l'esprit de cette communauté villageoise que l'on est séduit ; une communauté qui n'a que la beauté et l'aridité de sa terre à offrir. Dans le silence des instruments montent les voix, formant cercle avant de s'élever dans l'air. La caméra les circonscrit comme dans une parade d'amour et ce sont indéniablement les plus magiques instants du documentaire de Pierre-Marie Goulet. (...)
Karin Tshidimba
La Libre Belgique

20/11/2007

Une partition sonore - Jorge Leitão Ramos
















Antoine Bonfanti photo©António Cunha

Le point de départ est un hommage à Michel Giacometti, rappeler sa personne, son travail, son héritage. Mais Polifonias va plus profond en proposant un voyage sonore et spatial par le chant profond qui irrigue l'Alentejo (...)

Polifonias est un travail hors du commun. Du goût de l'image, de l'équilibre de la lumière et de la composition résulte un travail remarquable. Mais je dirais que, comme proposition cinématographique, il mise par-dessus tout sur l'écoute - et je ne fais pas référence qu'aux chants de l'Alentejo qui, à un certain moment, se croisent avec ceux d'une Corse lointaine. Je me réfère aux tonalités des voix prosaïques, depuis celles des témoignages jusqu'à celles des textes "off", que l'oreille très attentive d'Antoine Bonfanti mélange aux ambiances et à la musique, ici se crée une précieuse "partition" sonore.
Jorge Leitão Ramos
Expresso

19/11/2007

Uma partitura sonora - Jorge Leitão Ramos

Polifonias propõe-nos uma viagem sonora e espacial pelo cantar profundo que subjaz ao Alentejo, como quem vai espreitar a raíz profunda, sem esquecer a realidade de uma desertificação geográfica e humana. Através dele se encontra a figura desse corso que, num dia de 1959, aportou a Trás-os-Montes - e nunca mais deixou de calcorrear este país, dele expondo o canto popular. Polifonias é um trabalho muito singular. Do gosto, da imagem, do sopesamento da luz e da composição se constatará um trabalho notável. Mas eu diria que, como proposta cinematográfica, ele aposta sobretudo na escuta - e não me refiro apenas aos cantos do Alentejo que se cruzam com os de uma distante Córsega. Refiro-me ás tonalidades das vozes prosaicas, dos depoimentos aos textos "off", que o atentíssimo ouvido de Antoine Bonfanti misturou com os ruídos e a música, ali se criando uma preciosa "partitura" sonora.

Jorge Leitão Ramos
Expresso - 27 Dezembro de 1997

18/11/2007

Le choc culturel ressuscite la création - Xavier Flament

Michel Giacometti avait révélé la beauté fragile des chants portugais de l'Alentejo. Polifonias de Pierre-Marie Goulet lui rend hommage.

Avec Polifonias, Pierre-Marie Goulet signe son premier documentaire en terre portugaise. Plus précisément en Alentejo, région aride au sud du Tage, malmené par le climat et la répression de Salazar. Le dictateur tente dans les années soixante de réduire au folklore ses traditions populaires ancestrales. Arrive alors un homme venu d'ailleurs, comme dans les westerns, dit la voix "off" du poète Sérgio Godinho. C'est un homme qui vient d'un autre pays, qui a écouté attentivement les hommes de terres semblables à celle-ci. Il sait que jouer et chanter est l'attribut premier des peuples qu'il a connus. Cet homme, c'est Michel Giacometti .

Fasciné par la rudesse de ces voix blessées, l'ethnomusicologue français consacre les trente dernières années de sa vie à compiler des milliers d'exemples de musiques populaires, de contes et de photographies. Pour les habitants, il a sauvé la musique portugaise et lui a donné ses références. Lorsque Goulet évoque son souvenir, les gorges des anciens du village se serrent d'émotion, il était mon ami et j'étais son ami aussi, dit le vieux Caranova.
Sa tristesse semble pourtant outrepasser la perte de cet homme devenu mythe, comme s'il avait emporté plus que de lui-même dans la tombe, peut-être un peu de l'âme de ce pays. Le documentaire dévoile en effet l'ambiguïté du travail de l'ethnomusicologue. Car, à l'instant où celui-ci révèle aux autochtones toute l'importance de leur culture, il introduit dans l'acte créatif, jusque-là spontanée, une extériorité née du micro, de la restitution figée de l'enregistreur. Lorsque le paysan qui ponctue le labeur quotidien de son chant prend conscience qu'il est en train de faire un "geste créateur", arrive-t-il encore à chanter ?

Goulet répond peut-être par la magnifique rencontre entre les chanteurs de l'Alentejo et ceux de la Corse natale de Giacometti. La polyphonie austère et grave des choeurs portugais qui baigne le documentaire rencontre soudain le chant plus ornementé des trois Corses. La caméra suit le parcours de l'émotion sur les visages portugais. A peine le trio s'est-il tû que Virgínia Dias, poète alentejane, entonne un air que sa mère lui chantait et avant elle, la mère de sa mère. Les Corses, fascinés à leur tour, en redemandent. A trois reprises, et à chaque fois différemment, elle reprend le chant séculaire. Le choc des cultures et la nécessité ont remplacé "l'innocence perdue" pour ressusciter la créativité spontanée. (... )
Xavier Flament
Le Soir (Belgique)